La vision occidentale de l’histoire du communisme est souvent biaisée par la méconnaissance de deux éléments essentiels : la composante nationaliste des partis au pouvoir inspirés par cette idéologie et leur enracinement dans un humus culturel local. Loin de l’universalisme abstrait, du matérialisme dialectique et de l’utopie d’un modèle politique exportable au monde entier, les communismes et socialismes d’Asie présentent le tableau de régimes fortement identitaires et caractérisés par de nombreuses spécificités indigènes : la ruralité, le confucianisme, les influences religieuses et spirituelles (taoïsme, bouddhisme, chamanisme, etc.), les logiques dynastiques et seigneuriales héritées de la féodalité, un rapport au temps long et une filiation aux régimes pré- révolutonnaires.
David L’Epée, qui a vécu en Chine et a étudié de l’extérieur la Corée du nord, examinera les particularités de ces deux formes de socialisme en mettant en parallèle cet enracinement avec leur histoire économique, souvent bien différente de celle du « grand frère » soviétique. En effet, face à l’histoire asiatique moderne – et notamment celle de ces deux régimes nationaux-étatistes que sont la RPC et la RPDC – l’opposition binaire entre socialisme et capitalisme, souvent très occidentalo-centrée, ne s’avère pas toujours une grille de lecture satisfaisante. Les expériences socialistes tentées en Asie ne sont certes pas, dans la plupart des cas, des exemples de réussite et encore moins des modèles à suivre pour les peuples du monde mais elles illustrent néanmoins la centralité de l’enjeu identitaire et le souci d’une adaptation des idées générales aux spécificités des peuples et des cultures. Le socialisme ne saurait en effet être source d’émancipation qu’à condition d’être profondément enraciné dans un habitus communautaire, qu’il soit celui d’une région, d’une nation ou d’une aire civilisationnelle bien précise, sans quoi il ne ferait que remplacer une aliénation par une autre. C’est dans cette perspective résolument différentialiste que l’auteur inscrit son intérêt pour l’histoire du socialisme.