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Revenant sur plus de quatre siècles de querelles françaises concernant le statut de la femme, Pierre Darmon nous montre par la même occasion que l’affaire est loin d’être réglée et que les deux camps (les défenseurs de la femme et ses contempteurs) s’affrontent toujours en 2012. Auteur très partisan, il voit chez les défenseurs de l’Eglise et les prêcheurs islamistes la version contemporaine des misogynes d’hier. Il s’en prend notamment à l’historien Marcel Bernos, qu’il juge trop proche des intérêts cléricaux, et dresse un réquisitoire sévère contre la tendance au relativisme qui sévirait chez nombre d’historiens d’aujourd’hui. « L’alibi contextuel possède l’incontestable pouvoir de semer le trouble dans la masse des esprits mal informés » écrit-il. La notion de contexte est sa bête noire, il lui oppose un certain universalisme susceptible de légitimer tout jugement moral rétroactif porté sur le passé. On n’est bien sûr pas tenu de le suivre sur cette voie tendancieuse et sa démarche est très contestable, il est par contre rafraichissant de voir un chercheur aborder un litige aussi ancien de manière si engagée, comme s’il se plaçait dans la continuation d’un des deux camps. L’auteur, qui propose en annexe un corpus consistant de textes divers sur la question, examine autant l’opinion des théologiens que celle des penseurs laïcs, des médecins ou celle qu’il trouve dans ces poèmes libertins dont « l’atmosphère […] présente certains aspects d’une misogynie crépusculaire ».
De Marguerite de Navarre au Dr Venette, il suit et commente les disputes successives qui jalonnent l’histoire des derniers siècles : les procès en sorcellerie, le débat sur l’existence de l’âme chez la femme ou le port du voile, la martyrologie féminine de l’Eglise, les lois sur l’instruction des filles, l’étude de l’hystérie et des « fureurs utérines », le scandale des florifères… On retiendra particulièrement le chapitre consacré à la misogynie médicale (Darmon, qui est avant tout spécialiste de l’histoire de la médecine, montre en quelle mesure les médecins des Lumières ont pu prendre le relais des anciens moralistes chrétiens) et celui sur un certain “féminisme” paternaliste propre au catholicisme, que l’auteur appelle « féminisme macabre » et qui se plait à faire l’éloge des saintes sacrifiées et à présenter l’amour divin comme une sorte d’amour charnel sublimé. Un voyage dans le temps contrasté et instructif.
Pierre Darmon, Femme, repaire de tous les vices : misogynes et féministes en France (XVIe-XIXe siècles), André Versaille éditeur, 2012, 339 pages