Article paru dans le numéro d’avril de Salut Public
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Mais qui sont donc ces sacrés Français, dont nous, Suisses romands, parlons la langue ? Nous faisons plus que ça : nous étudions leurs grands auteurs à l’école, nous lisons leur presse et nous subissons leur télévision. C’est que le Français a plusieurs visages pour nous. Il a celui du travailleur frontalier qui, dans plusieurs cantons romands limitrophes, vient concurrencer le travailleur suisse sur son propre marché et incarne le rêve du patron qui n’a jamais oublié que l’immigré était l’armée de réserve du capital. Il a celui du sympathique Gaulois, roublard et bon-vivant, que beaucoup d’entre nous aimerions être tout en brocardant tout de même, pour la forme, cet inconséquent qui préfère siroter l’apéro sur une terrasse et siffler les filles que travailler à l’augmentation de son produit national brut. Il a celui du râleur à grande gueule, du contestataire prompt à manifester, à faire la grève et à bloquer le pays tant qu’il n’a pas été entendu.
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Cher Monsieur L’Épée,
(Le premier E de votre nom n’est-il pas accentué : É ? Si non, mille excuses…)
Je suis Français. Je n’ajouterai pas « et fier de l’être » puisque ma nationalité n’est, somme toute, que due au hasard de ma naissance et non le fruit du mérite — je suis « souchien », comme on dit de plus en plus ici, c’est-à-dire « Français de souche ». Mais je dirai plutôt que je suis fier de mon pays et de la plus grande partie de son histoire — du moins celle qui précède 1973, date du début de la fin des haricots avec la loi dite « de Pompidou-Rotschild ». Je ne crois pas nécessaire de développer ni pour vous ni pour vos lecteurs ce que cette loi a eu pour conséquences.
Mais plus qu’à son histoire, je suis attaché à ses penseurs ET à ceux qui ont pensé en langue française, du moins pensé vraiment. Comme vous sans doute, j’ai une très grande admiration pour Jean-Jacques Rousseau que je passe pour le philosophe le plus important des temps modernes — avec David Hume, pour de tout autres raisons.
Né en 1973 (année fatidique !), j’ai donc eu l’occasion de voter à quatre présidentielles (1995, 2002, 2007 et 2012). Tous les présidents dont le mandat est sorti de ces scrutins ont déshonoré, voire sali, l’image de notre beau pays. Aussi sachez que je ne puis qu’être en accord complet avec l’analyse à laquelle vous vous livrez dans votre article (dans son versant français).
Pour ce qui concerne le versant suisse, je suis moins en mesure de me prononcer. J’ai toutefois séjourné trois semaines dans le magnifique Pays-d’Enhaut et ce court aperçu m’a fait ardemment désirer d’y retourner. Et, sur la base de mes réflexions sur ce qu’on appelait encore l’Économie politique à la fin du 18e siècle, je tombe d’accord avec Étienne Chouard (et peut-être vous) pour conclure que le pays d’Europe qui se rapproche le plus de l’idéal démocratique véritable (sur le modèle athénien) est votre chère Suisse.
Mais l’Islande semble s’être réveillée. (Car, qui connaît un peu l’histoire de l’Islande sait que sa société fut la plus longue démocratie souveraine et indépendante de l’Histoire : de 930 à 1262 ! Il ne me semble pas que la République romaine puisse être rangée parmi les démocraties… Mais ceci peut se discuter.)
À quand le réveil français ? Il se pourrait qu’il se produise bientôt, notamment grâce à l’extraordinaire effort d’éducation populaire des amis d’É&R. Trois quarts des Français ne font plus confiance ni au personnel politique ni aux médias, deux « espèces » dont la collusion complaisante est de plus en plus manifeste et obscène.
Ici, l’idéologie du tout-économique et du tout-libéral triomphe, du moins dans les médias. L’endettement (programmé) de la France est en permanence invoqué comme le prétexte à l’impuissance de ses gouvernements, quand ce n’est pas la prétendue « ingouvernabilité » du peuple français qui est mise en cause ! Mais, si le peuple français méritait réellement sa réputation d’indiscipline paillarde, comment expliqueralors que le rendement horaire du travail des Français est l’un des plus élevés au monde ?
Moi qui suis un lecteur assidu du site d’É&R et en même temps très intéressé par l’appel des émules de Chouard à la désignation d’une constituante par tirage au sort, je ne vois guère se dessiner que deux possibilités de sortie de crise pour la France :
– la venue au pouvoir d’un « homme fort » (É&R : « pour un Chavez français ») à la De Gaulle, Chavez ou Poutine ;
– une solution (vraiment) démocratique à l’islandaise, à la suisse ou même à l’irlandaise — le mode de scrutin de l’Irlande est très intéressant : on ne vote pas pour UN candidat mais pour un ordre de préférence de candidats (vote dit alternatif ou préférentiel), ce qui évite le piège de la consigne de « voter utile » invoquée en France depuis 2002 et l’élimination au premier tour de Lionel Jospin (PS), donné grand favori, arrivé derrière Jean-Marie Le Pen (FN) ou ce qui du moins peut éviter la tendance lourde au bipartisme qui prévaut aux États-Unis, en Grande-Bretagne et… dans la majorité des pays d’Europe.
Il ne faudra bien sûr pas compter sur les médias « français » (en fait, atlantistes) pour se faire l’écho de cette alternative anti-médiagogique. Populisme est ici un anathème.
Je découvre votre blog ce soir même. Je le suivrai désormais attentivement.
Salutations sincères à l’auteur, à ses lecteurs et aux francophones helvètes !